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samedi 12 février 2011

felix nussbaum

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Paris, 22 septembre 2010 - 23 janvier 2011. Publié dans Art press, n° 374, janvier 2011, p. 82.

C’est un événement. Pour la première fois en France, une rétrospective permet de découvrir la peinture de Felix Nussbaum. En Allemagne, à Osnabrück - ville natale de l’artiste - la fondation Nussbaum (architecte Daniel Libeskind) est fermée pour cause d’agrandissement. A Paris, durant quatre mois, le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme présente certaines œuvres de ce fonds, augmentées de prêts provenant de collections privées et des musées de Berlin, Chicago, New York et Tel Aviv.
Formé au début des années 1920 à Hambourg et surtout à Berlin au temps de l’Expressionnisme et du Novembergruppe, Nussbaum fit partie des artistes de l’avant-garde progressiste qui furent forcés de fuir les persécutions nazies. Son professeur et ami, le graveur Ludwig Meidner, fut jugé « peintre dégénéré » par le III° Reich et trouva refuge en Angleterre. De son côté, Felix Nussbaum s’exila en Belgique, où il continua à peindre clandestinement. En 1940, il fut déporté en tant qu’ « étranger ennemi » au camp de Saint-Cyprien dans les Pyrénées orientales. Il s’en échappa, fut repris quatre ans plus tard, et mourut à Auschwitz en 1944, tandis que son frère Justus décédait au camp de Struthof, en Alsace.

Dans le catalogue, Philippe Dagen s’interroge : pourquoi cette destinée et les peintures sombres qui en témoignent sont-elles si peu étudiées en France ? Peut-être parce qu’elles soulèvent deux questions épineuses : celle de la représentation du bannissement et de la dégradation civique pendant la shoah, et celle de la complicité des autorités françaises. L’autoportrait au passeport juif (1943) est sans doute l’œuvre de Nussbaum la plus reproduite. Elle étonne par sa tension réaliste et la prémonition du sort funeste qui attendait le peintre, porteur de l’étoile jaune. Plus dérangeant encore, L’autoportrait dans le camp (1940) s’inscrit dans la tradition germanique de Dürer et Hans Holbein (on pense à l’autoportrait d’Holbein conservé au Musée des Offices à Florence : crâne dissimulé sous une coiffe, visage marqué, regard impénétrable… mais là s’arrête la comparaison). A l’arrière-plan Nussbaum a représenté, avec crudité, les conditions de détention dégradantes des prisonniers du camp de Saint-Cyprien.

En 1942 et 1943, des toiles plus allégoriques combinent des symboles récurrents dans l’iconographie expressive de l’artiste : arbres coupés et gibets, ciels orageux et barbelés, masques et mannequins : autant de menaces qui pèsent sur l’intégrité de l’Homme et contribuent à désagréger sa personnalité. Insaisissable, empruntant parfois à Van Gogh (Autoportrait au chapeau vert, 1927), parfois à Giorgio de Chirico (Narcisse, 1932 et Mannequins, 1943) et à James Ensor (Masques et chat, 1935), le style de Nussbaum ne cesse de varier, en tournant autour du thème de la mascarade. L’une des surprises de l’exposition est cette assemblée d’autoportraits grimaçants où l’artiste, se moquant de lui-même, incarne le rôle du bouffon (Portrait au torchon, 1936) tout en se dédoublant dans le visage de son frère. Puis, à l’étage, on a l’impression de découvrir un autre peintre : dans les natures mortes des années 1940-43 sont représentés des vases, des agrumes, une sculpture africaine et même une jolie poupée près d’une raquette de tennis. Les couleurs de la gouache sont gaies, légères. On en oublierait presque qu’au même moment, il peignait le corps décharné du Juif à la fenêtre et les personnages emblématiques de Saint Cyprien, toile inachevée, longuement méditée après son incarcération en France. Le parcours s’achève, après les études de danses macabres, sur le Triomphe de la mort daté du « 18/4/1944 », c’est à dire quelques semaines avant la disparition du peintre. Vision de cauchemar, vision d’effroi : un orchestre macabre piétine les absurdes reliques humanistes des arts et des sciences. Il n’est plus permis d’espérer.

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