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jeudi 22 septembre 2022
clins d'oeil et création collective
Catalogue d'exposition Amitiés et Créativité collective, Marseille, Mucem, 2022
Œuvre collective initiée par le peintre et poète Francis Picabia, L’Œil cacodylate est réalisé en 1921. Un siècle plus tard, cette toile revêtue de cinquante-quatre signatures du monde de la peinture, de la littérature et du spectacle est devenue une icône dada presque aussi célèbre que la Joconde à moustache duchampienne. Mais sait-on exactement ce que l’artiste a voulu faire ? Dans quelles circonstances ? Et pourquoi ?
Sur un fond rose vif, Picabia représente un œil énorme à la pupille dilatée. Il signe en bas, colle son portrait photographique, inscrit le titre énigmatique en lettres capitales dans un cartouche, puis laisse la surface vide... Les raisons d’une telle extravagance? Un zona, trouble ophtalmologique très invalidant soigné au cacodylate de soude durant le mois de mars 1921 ; mais aussi, c’est évident, la résonance creuse des paroles :
« Des yeux sont fixés sur mon œil contracté – paroles banales, paroles qui pleurent insensibles [...]. Je savoure mes paupières et mon œil rougi veut saisir la nuit. Je suis fou ! [...] Depuis vingt-cinq jours la chambre devient de plus en plus étroite, nous sommes bloqués ; le danger ne passe pas (1). »
Reclus, le malade presse ses visiteurs d’écrire quelque chose sur la toile, à la peinture, avec un pinceau. Man Ray et Georges Auric ont exprimé leur surprise face à cette requête peu habituelle (2). Il est hors de question de réfléchir longtemps avant d’écrire un bon mot : la spontanéité et la performativité de la réponse sont essentielles. Ainsi, Picabia invite Jean Hugo à compléter sa signature par le mot « voilà » qu’il vient de prononcer. Tandis que Marcel Duchamp signe le contrepet « en 6 qu’habilla rrose Sélavy », les dadaïstes s’essayent au détournement de slogans. Tristan Tzara écrit: « Je me trouve très Tristan Tzara »; Man Ray: « directeur du mauvais movie » ; Paul Dermée : « Paul Z. final Dermée »; Jacques Rigaut : « Parlez pour moi » ; Georges Ribemont-Dessaignes : « Je prête sur moi-même ». D’autres réponses s’entremêlent : « J’ai tout perdu et perdre est gagné » de Benjamin Péret enserre l’aveu de Suzanne Duchamp « Quand on me prend au dépourvu, moi = je suis bête ». De même, « le manque dada » de Céline Arnauld perturbe « Mon œil en deuil de verre vous regarde » de Jean Crotti. Enfin, l’affirmation de Jacques Povolozky « Je l’édite » semble répondre à la question de Clément Pansaers: « Picabia te souviens-tu de Pharamousse ? »
Sans cesse en quête de la nouveauté, renonçant aux académies autant qu’aux écoles, Picabia a toujours refusé de s’enfermer dans un style. Membre actif du groupe dada international, contributeur d’une multitude de revues d’avant- garde, il crée 391, Cannibale, Le Pilhaou-Thibaou et écrit les recueils de poèmes Pensées sans langage, Jésus-Christ Rastaquouère, Unique eunuque... Avec lui, la peinture est une arme : un singe en peluche collé sur une toile symbolise Cézanne, Renoir et Rembrandt (Portrait de Cézanne. Portrait de Renoir. Portrait de Rembrandt. Natures mortes, 1920). « Pour que vous aimiez quelque chose, il faut que vous l’ayez vu et entendu depuis longtemps, tas d’idiots », écrit-il sur une cible peinte présentée lors d’une manifestation dada parisienne. Dans la même veine, L’Œil cacodylate estun manifeste sans prétention, longtemps exposé dans un bar. Il témoigne de sa volonté de fédérer les artistes dans une sorte de fronde amusante contre l’ordre établi et l’ennui. Les « clins d’œil » de tous les signataires font référence à un savoir commun : la première monographie sur Picabia éditée en 1920 par le libraire Povolozky et rédigée par Marie de la Hire, « Pharamousse », le pseudonyme de Picabia dans la première livraison de sa revue 391, les yeux de verre insérés par Crotti dans une peinture en 1915 ou encore, Z, revue dada publiée par Paul Dermée en mars 1920 et qui ne connut qu’un seul numéro.
Filant la métaphore du regard, le séducteur – qui n’a pas « froid aux yeux » – élabore un réseau de connivences entre son œil rougi par le zona et Les Yeux chauds, peinture inspirée d’un schéma mécanique, puis titre d’un projet de revue musicale avec et pour la cantatrice Marthe Chenal. Malgré ses réserves, cette dernière joue un rôle majeur dans cette aventure picturale. Picabia fréquentait assidument la villa de Villers-sur-Mer ainsi que l’hôtel particulier parisien de la vedette où il organise Le Réveillon cacodylate à la fin de l’année 1921. Lors de cette soirée, les peintres Henry Valensi, André Dunoyer de Segonzac et la pianiste Magdalena Tagliaferro eurent la possibilité de compléter l’œuvre (3).
Comme Les Yeux chauds, que la critique avait moqué, L’Œil cacodylate fut exposé au Bœuf sur le Toit, par provocation. Dans le célèbre bar-restaurant-dancing de Louis Moysès, où artistes et mécènes viennent s’encanailler au rythme des fox-trot interprétés par Jean Wiéner, Jean Cocteau s’improvise batteur et légende son portrait photographique : « Blues, couronne de mélancolie je jazz trap drummer ». Tandis que les compositeurs et interprètes Gabrièle et Marguerite Buffet, Renata Borgatti, Hania Routchine, Georges Auric et Francis Poulenc signent la toile à leur tour, Darius Milhaud se distingue par ses caricatures : son énorme visage dominant un petit cheval (une photo de foire) complète l’affirmation « Je m’appelle DADA depuis 1892 ». Cette déclaration rappelle le nihilisme narquois de Picabia lorsqu’il fait mine de se justifier face aux critiques :
« Moi, je l’ai écrit bien souvent, je ne suis rien, je suis Francis Picabia; Francis Picabia qui a signé L’Œil cacodylate, en compagnie de beaucoup d’autres personnes qui ont même poussé l’amabilité jusqu’à inscrire une pensée sur la toile (4) ! »
Bien avant l’avènement du surréalisme puis de Fluxus, ce jeu artistique collectif est exemplaire. Accessibles à tous, ne nécessitant aucun savoir-faire, signatures et collages se répondent. Picabia imaginait-il que ce « tableau très beau et très agréable à voir et d’une jolie harmonie (5) » serait plus tard exposé dans les collections du musée national d’Art moderne après son acquisition en 1967 ?
NOTES
(1) Francis Picabia, « Zona », La Vie des lettres, juillet 1921, voir Francis Picabia. Écrits critiques, Paris, Mémoire du livre, 2005, p. 339.
(2) Francis Picabia dans les collections du MNAM, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2003, p. 50.
(3) Voir la liste des invités dans L. H., « Le réveillon cacodylate », Comœdia, 2 janvier 1922, p. 3.
(4) Francis Picabia, « L’Œil cacodylate », Comœdia, 23 novembre 1921, voir Écrits critiques, op. cit. p. 91.
(5) Ibidem
lundi 1 novembre 2021
Louise Bourgeois, You better grow up !
Publié dans Les mots de la pratique,
dits et écrits d'artistes, tome 2, sous la direction de Christophe Viart,
Le mot et le reste, 2021, p. 145-162.
En 1993, Marc Dachy, Thierry Prat et
Thierry Raspail invitent Louise Bourgeois à participer à la deuxième biennale d’art
contemporain de Lyon, « Et tous ils changent le monde ». Née le 25 décembre 1911
à Paris, l’artiste est dans sa quatre-vingt-deuxième année. Les autres femmes
sollicitées se nomment Shigeko Kubota (née 1937), Annette Messager (née en
1943), Barbara Kruger (née en 1945) et Macha Poynder (née en 1962). Ce qui
surprend au premier abord, c’est la vitalité de Louise qui répond doublement à
l’invitation des commissaires en envoyant une des sculptures monumentales
récemment exposées dans le pavillon américain de la biennale de Venise, et
surtout, en rédigeant un article explicatif sur l’œuvre. On remarque le tout
petit nombre de créatrices sollicitées pour dresser un tableau des avant-gardes
de 1913 à 1993 : seulement cinq femmes sur cinquante artistes ! Toutefois, la
question que j’aimerais poser est la suivante : comment cette sculptrice qui
développait un travail " hors-père " depuis plus de 50 ans a-t-elle répondu à
cette sollicitation tardive ? Ses textes (qui sont souvent critiqués en raison
de leur caractère explicatif et littéral) dévoilent-ils son autobiographie ou la
fantasment-ils ? Est-ce que l’artiste ne défie pas nos interprétations
réductrices de son œuvre en détournant certains concepts de la
psychanalyse ?
CONTEXTE : LA PRÉVALENCE MASCULINE
Mais revenons aux objectifs de la biennale exprimés d’une voix commune par le trio
de commissaires dans le communiqué de presse officiel de l’événement :
en premier lieu « mettre en valeur des engagements artistiques
comme le suprématisme de Malevitch, Tzara et
Dada, la dissidence Merz de Schwitters, Moholy-Nagy et la sensibilité
constructiviste du Bauhaus, l’élaboration célibataire de Duchamp, les
monochromes d’Yves Klein […] ». La liste se poursuit avec Asger Jorn, Jean
Dubuffet, Adolf Wölfli, Beuys, Ilia Kabakov, Bill Viola, Boetti, Kaprow, etc.
Des œuvres présentant « une acuité particulière en matière de création » sont
reconstituées pour l’exposition : le Merzbau de Schwitters, des œuvres
monochromes de Klein, des « agencements-interventions » de Tadashi Kawamata. Le
propos général étant de réfléchir « à la situation générale de l’artiste dans la
communauté », des œuvres historiques ainsi que des textes d’artistes sont mis en
avant. Pour souligner « l’inventivité des procédures formelles » et les «
interactions entre transformations plastiques et verbales », l’accent est porté
sur les recherches des poètes Iliazd, Augusto et Haraldo de Campos, Emmet
Williams et James Joyce… Il n’est guère question de Sonia Delaunay, Sophie
Taeuber-Arp, Alexandra Exter, Natalia Gontcharova, ni, dans les années 1960 aux
États-Unis, de Ruth Weiss, Diane de Prima de la Beat generation, de Yoko
Ono, membre de Fluxus ou encore de Judy Chicago et son programme de création
pour les femmes... C’est dans ce contexte français très « androcentré » que
Louise Bourgeois envoie sa contribution à l’exposition.
Cell (You better Grow Up) est une œuvre monumentale de 210 x 208 x 212
cm. C’est une sorte de cage de format cubique constituée majoritairement d’acier
pour la structure, avec des vitres sur deux côtés. L’artiste recourt à d’autres
matériaux, tels que le miroir, le marbre, la céramique et le bois. Cet
environnement aux allures carcérales s’inscrit dans la série des
Cells entreprise à la fin des années quatre-vingt. Ces espaces clos mais
pourtant ouverts, que le regard, seul, traverse, sont délimités par des portes,
des parois, des grillages. À l’intérieur, des scènes intimes semblent avoir pris
place, et nous sommes les témoins voyeurs de leurs traces : des objets sont
associés à des sculptures en céramique ou en marbre évoquant des fragments de
corps. En 1991, lorsque cette série prend forme, Bourgeois vient de recevoir le
Grand Prix national de sculpture remis par le ministère de la Culture française.
En octobre de la même année, elle a présenté ses œuvres récentes à la Robert
Miller Gallery (à New York, Miller est, depuis 1982, son marchand attitré, il
expose régulièrement son travail). Pendant une longue période, selon Robert
Storr, l’aspect expérimental de ses explorations découragea le public .
L’indifférence polie des professionnels du Museum of Modern art de New York qui
étaient proches de son époux, l’historien Robert Goldwater, fut certainement une
épreuve difficile . Malgré cela, Louise Bourgeois était une artiste connue aux
États-Unis. Son travail de peinture, de sculpture, de dessin et de gravure a été
montré dans de nombreuses institutions, notamment dans les musées d’art
contemporain de New York, du Texas, de Californie de l’Illinois, de l’Ohio, etc.
À compter des années 1940, elle a exposé avec d’autres artistes ou seule dans un
grand nombre de galeries américaines. La liste est longue : Bertha Schaefer
Gallery, Norlyst Gallery, Peridot Gallery, Allan Frumkin Gallery, Stable
Gallery, Poindexter Gallery, Rose Fried Gallery, Fischbach Gallery, Greene
Street Gallery, Hamilton Gallery, Xavier Fourcade, Hutchinson Gallery, etc. Par
ailleurs, elle s’est impliquée dans le militantisme féministe en prenant part à
plusieurs expositions revendicatives dès 1966. Dans son essai
Through the flower paru en 1975, Judy Chicago fait d’elle l’une des trois
plus importantes sculptrices new-yorkaises (avec Louise Nevelson et Dorothy
Dehner). Pourtant, il faut attendre novembre 1982 pour que la première grande
rétrospective de Louise Bourgeois ait lieu au Museum of Modern Art de New-York.
Elle est organisée par Deborah Wye, longtemps conservatrice des gravures et des
livres illustrés dans ce musée. Autre date importante : en 1988, la jeune Mâkhi
Xenakis vient à la rencontre de son aînée, chez elle, à New York. Au début des
années 1990, à sa demande, elle photographie les lieux d’enfance et
d’apprentissage de Louise, notamment son lycée parisien (avec ses couloirs
sombres, ses vitrines, son grand escalier). Après moult tractations ces
documents seront à l’origine du livre L’Aveugle guidant l’aveugle publié
par Xenakis en 2008.
Louise Bourgeois a été formée en France, dans les académies
Ranson, Julian, Colarossi et de la Grande Chaumière pendant les années 1930.
Elle a dit l’importance des cours de Fernand Léger « son meilleur professeur »
pour son avenir de sculptrice, et de l’affichiste Paul Colin. Pourtant, c’est en
France que les réticences à l’égard de son œuvre semblent les plus tenaces. À
Paris, il faut attendre 1985 et la galerie Maeght-Lelong pour voir sa première
exposition personnelle regroupant une cinquantaine de sculptures. Comme souvent
la légitimation commerciale vient de l’Allemagne. En 1989, une exposition
itinérante voyage à Munich, Lyon, Barcelone, Berne, Otterlo et Lucerne. De
nombreux articles de presse se font l’écho de cette rétrospective organisée par
Peter Weiermar au Frankfurter Kunstverein. À compter de cet événement, le succès
est florissant. À Paris, les galeries Karsten Greve et Lelong représentent
l’œuvre de Louise. En 1989, Articulated lair est exposé à Paris par
Jean-Hubert Martin lors de l’exposition « Les Magiciens de la terre ». On
comprend, par conséquent, que les Cells sont conçues au moment où
l’artiste – qui doit sa reconnaissance française à son talent, sa ténacité et sa
longévité – devient une référence pour le marché de l’art international. Ses
environnements inquiétants et même menaçants s’imposent au moment où son pays
d’origine reconnaît enfin l’importance de son œuvre. C’est aussi la période
pendant laquelle Mâkhi Xenakis l’aide à retrouver les souvenirs tangibles de son
passé en cherchant les traces de l’atelier de restauration de tapisseries de ses
parents à Choisy-le-Roi, dans la région parisienne. Passionnée, elle réunit une
série de photographies du lycée Fénelon, de son vestiaire, de son infirmerie, et
établit des liens sans doute un peu trop directs avec les sculptures. La
réaction de l’artiste est radicale : elle refuse catégoriquement de voir
d’autres photos et rejette sévèrement les interprétations de Mâkhi. Finalement
en 2008 (deux ans avant sa mort) les images de l’infirmerie seront mises en
rapport avec Cell I et « l’épisode du vestiaire » sera publié en regard
de deux photographies de Cell (You better Grow Up) :
« Les vestiaires du
lycée se trouvaient juste en haut du grand escalier, à côté de ma classe et du
bureau de la directrice. Ils étaient constitués de grandes cages métalliques,
grillagées, qui étaient posées sur des roulettes. À l’intérieur, il y avait des
douzaines de cintres. C’était vraiment quelque chose d’incroyable à voir. Quand
les élèves étaient dans les classes, leurs manteaux étaient pendus dans les
vestiaires, et quand elles sortaient, du lycée, c’étaient leurs blouses qui
restaient suspendues. C’était un langage secret. Au bas des casiers, il y avait
une place pour ranger nos galoches en hiver et puis, encore au-dessous, une
place pour ranger nos livres. À l’époque, je n’étais déjà pas très bonne à
porter des paquets si bien que j’y laissais tous les livres dont je n’avais pas
besoin en classe. Un jour j’ai découvert qu’une élève me les avait volés, alors
j’ai éclaté d’une colère folle et je l’ai frappée. J’ai été conduite directement
chez la directrice et cela m’a valu un zéro de conduite. »
TU FERAIS MIEUX DE GRANDIR, TEXTE ÉDUCATEUR ?
Rédigé bien avant ces aveux, l’article publié dans le
catalogue de la biennale de Lyon de 1993 répond à une commande et s’inscrit dans
un cadre pour le moins paradoxal : celui de la mise en valeur – si ce n’est de
la consécration – des avant-gardes (masculines) dans une exposition qui
cherchait à devenir une référence éclairante pour les artistes. On peut dire
qu’il s’agit du premier texte « pédagogique » de l’artiste publié en français
(qui n’est pas une réponse à une interview) et qui livre des explications sur
une de ses « sculptures environnementales ». Le caractère sérieux et le désir de
transmission qui sont attachés au terme « pédagogique » peut faire sourire.
Pourtant Louise Bourgeois a exercé le métier de professeure dans différentes
universités américaines à partir de 1960. Elle sait structurer un discours,
rédiger un texte aux accents théoriques et personnels et, comme l’attestent ses
entretiens filmés, raconter une histoire très imagée . Dans les textes des
catalogues d’exposition, « l’intensité de ses déclarations » ainsi que « la
franchise de ses entretiens » ont particulièrement « touché » l’actuel directeur
artistique de la Serpentine Gallery, Hans-Ulrich Obrist. Il a constaté cet effet
sur lui-même alors qu’il préparait son premier entretien avec l’artiste, ce qui
inspira un projet de publication de ses écrits.
Intitulé « Cellule (Tu ferais
mieux de grandir », l’article de Bourgeois est organisé en trois temps : 1.
description, 2. significations métaphoriques des objets et de leurs matériaux,
3. enseignements possibles pour l’artiste et sa pratique. Dès les premières
lignes, l’auteure souligne l’ambiguïté du titre, la cellule renvoyant autant à
la prison qu’à la biologie. Elle met en valeur les miroirs qui ont été insérés
dans le plafond et sur deux des côtés, puis les trois mains taillées dans le
marbre rose. Elle indique que trois meubles de bois ont été recouverts de
différents récipient en verre (trois flacons de parfum) et en céramique.
Dans la
seconde partie, au risque de forcer l’interprétation du spectateur, elle
explique que les mains (placées au centre de la cage et reflétées par les
miroirs) sont « la métaphore de la dépendance psychologique ». La plus grande
est une main d’adulte, de « mentor », tandis que les deux petites sont celles
d’un enfant. « Elles sont habitées par la peur et l’angoisse qui les rendent
passives ». Ces fragments de corps que Rosalind Krauss a assimilé, en termes
psychanalytiques, à des « objets partiels » évoqueraient, selon Evelyne Grossman
des pulsions terrifiantes que Louise « trouve abondamment dans l’œuvre de la
psychanalyste Mélanie Klein qu’elle lit et relit ». Pourtant, ces objets en
marbre rose ne sont pas seulement une synecdoque du corps humain, ils ont aussi
une valeur dramaturgique et déictique, ce sont des signes indécidables qui
relèvent à la fois de l’expression corporelle et de la suggestion. Tout autour,
les miroirs reflètent le monde « distordu et disproportionné » perçu par
l’enfant, alimentant sa peur d’exister. Seule la « connaissance de soi » et la
maîtrise des choses permettent de dépasser cette angoisse existentielle et
d’éviter de « rejouer sans cesse la même scène ». Rédigé à la première personne
du pluriel, le développement a valeur de conseil : « Tant que le passé n’est pas
nié par le présent, nous ne vivons pas ». « Nous devons nous aider du passé pour
résoudre les problèmes du présent. » Ce passé, on le devine, est celui de
l’enfance. Il ne faut pas se réfugier dans la nostalgie, mais, tout au contraire
affronter ses peurs. Cette nostalgie est associée à la « forte puissance
d’évocation des odeurs » de parfum, tandis que les formes en verre et en
céramique « incarnent une forme de romantisme, un état d’abandon, une attitude
de laisser-faire, un rêve d’enfant ». Abandon, laisser-faire, passivité, mains
du mentor et dépendance psychologique, obsession de la même scène, Bourgeois
tourne autour d’un traumatisme dont elle ne veut pas dire le nom.
Plus
généraliste, évoquant la pratique et les comportements artistiques, la troisième
partie aborde de front « l’analyse » (psychologique) que Bourgeois oppose à la «
sublimation ». Positive, l’analyse permet la connaissance de soi. Négative, la
sublimation ne fait que ressasser les peurs : « Quelques artistes ne font que
mimer toute leur vie au lieu de penser ». « L’artiste, comme l’enfant, est
passif. L’artiste reste un enfant, qui a perdu son innocence mais qui, pourtant
ne peut se libérer de l’inconscient » dit-elle encore. Louise Bourgeois, qui a
fréquenté les surréalistes – et notamment André Breton lors de son exil
américain durant la Seconde Guerre mondiale – regarde la création dans le prisme
de la psychanalyse . Après le décès de son père en 1951, elle débute une analyse
freudienne, « lit abondamment la littérature psychanalytique, se réfère
volontiers dans ses écrits à Freud, Wilfred Bion, Donald Winnicott, Mélanie
Klein, Pierre Fédida, d’autres encore ». Contrairement à Freud qu’elle
n’hésitait pas à critiquer , dans ce texte, Bourgeois ne prononce guère le mot «
sexualité », lui préférant celui de « peur » ou même de « terreur ». Derrière
les paraphrases, on devine pourtant que c’est bien cela dont il s’agit :
« rejouer sa terreur est une activité autocentrée et une source de plaisir ».
Avec ce conseil qui sonne comme une injonction (tu ferais mieux de grandir),
l’éducatrice Bourgeois brosse un tableau moraliste de la création artistique,
qu’elle scinde en deux approches antinomiques de l’art :
SUBLIMATION / ANALYSE
Ignorance / Connaissance
Émotions (peur, terreur) / Contrôle
Humiliation de
l’emprise
Plaisir répétition, félicité / Être meilleur encore en tant qu’artiste
Expression de soi / Savoir
Laisser-aller
Penser, c’est affronter le souvenir (du
trauma). À l’inverse, sublimer sa peur (des pulsions sexuelles), c’est subir une
« humiliation » et « n’être qu’un jouet à la merci d’une peur qui vous empoigne
si violemment ». Bourgeois met en valeur deux comportements de l’artiste qui
engendrent un rapport bien différent à la pratique. Jugée néfaste, l’expression
de soi est opposée au contrôle et à l’analyse. La conscientisation de l’acte
artistique et de ses enjeux fait la différence. En même temps, une phrase
ambiguë laisse entendre que les choses ne sont peut-être pas si tranchées : «
Sublimer c’est vivre au ciel, avec la permission de la conscience. » Enfin le
dénouement du texte a valeur de révélation lorsque Bourgeois écrit : « le petit
personnage à l’intérieur des formes de verre empilées est coupé du monde. C’est
moi. Les petites mains sont les miennes. Ce sont des autoportraits ». Elle
avoue, si on ne l’avait pas encore compris, qu’elle s’identifie au personnage
dépendant et souffrant, enfermé à l’intérieur de la cellule. Que faut-il
dévoiler ? Que faut-il cacher ? L’artiste doit-il avouer ses traumatismes ou
simplement les suggérer par des mots, des images, des objets, par un
environnement plus ou moins anxiogène ? Cette interrogation traverse toute œuvre
comportant une dimension autobiographique. En ce sens, Deleuze et Guattari avait
raison : les artistes sont des « athlètes affectifs ». Il faut vraiment être un
« acrobate » pour « faire tenir ensemble des blocs de percepts et d’affects ».
Deux ans avant la biennale d’art contemporain de Lyon, lorsque les
Cellules I à IV furent exposées par Lynne Cooke et Mark Francis en
Pennsylvanie, Bourgeois avait aussi rédigé un article pour le catalogue du
Carnegie Museum of Art de Pittsburgh. Différent, ce texte était axé sur les
idées de souffrance (et de frustration). Elle précisait : « les cellules
représentent différentes sortes de douleurs : physique, émotionnelle ou
psychologique, mentale ou intellectuelle ». Associé à divers objets usuels qui
semblent sortis d’un grenier, le lit de Cell I renvoie à l’univers intime
de la chambre. Dans Cell II, les deux mains en marbre rose sont nouées
par la douleur qui « naît de la colère de ne pas savoir comment comprendre, de
ne pas savoir comment apprendre ». L’artiste confesse sa « fureur de ne pas
savoir comment être à la hauteur de son destin » en 1932, lors du décès de sa
mère malade : « C’est la douleur de ne pas savoir comment se faire aimer. Cette
douleur ne disparaît jamais, et on ne sait pas comment il faut réagir contre
cela ». Ne pas arriver à progresser met Louise dans « un état de fureur ».
Cell III, sans doute la plus agressive – avec cette petite figure
féminine en marbre rose tordue en arrière placée sous un massicot – est une
allusion à l’arc hystérique et renvoie à un « état de plaisir et de douleur »
mêlés, « c’est un succédané de l’orgasme, sans accès à la sexualité ». Enfin
Cell IV évoque un personnage malade, recroquevillé par la peur, qui « est
très jaloux de son intimité et craint les observateurs ». La question du secret
qu’il faut garder caché semble centrale : « Il projette sa peur d’être vu, car
lui-même est un voyeur, un voyeur en puissance. C’est ce qu’expriment les
fenêtres. Si on peut regarder à l’extérieur, on peut aussi voir à l’intérieur.
La vitre signifie qu’il n’y a pas de secrets ».
FÉMINISTE POST-MINIMALISTE ? POST-DUCHAMPIENNE ?
Bien évidemment, les interprétations sont multiples, mais elles diffèrent
surtout en fonction de l’importance ou du crédit que l’on accorde aux
déclarations de l’artiste. En 1995, lorsque Marie-Laure Bernadac publie sa
monographie sur Louise Bourgeois, elle prend appui sur les articles «
pédagogiques » publiés dans la presse ou les catalogues d’exposition. Forte de
cette connaissance et de ses dialogues avec l’artiste, elle semble commenter le
texte de Louise « Cellule (Tu ferais mieux de grandir) » : « Cette œuvre, et
l’interprétation qu’elle en fait, montre bien à quel point l’art est pour Louise
Bourgeois une thérapie, un instrument de connaissance, une morale de vie, celle
du « connais-toi toi-même » de Socrate auquel elle se réfère souvent . » Pour la
conservatrice et commissaire d’expositions, les cellules sont des « lieux de
mémoire » et le thème central est « le motif de la maison », « structure autour
de laquelle tout s’organise ».
En 2004, l’approche d’Allan Schwartzman – alors
vice-président de Sotheby’s New York – est moins fidèle aux écrits : il constate
que les détracteurs de Bourgeois ont souvent ramené son œuvre à une « simple
confession autobiographique ». À ses yeux pourtant, le rôle de l’artiste dans
l’évolution de l’art moderne est décisif et devrait être reconnu car elle a été
l’une des premières à développer « cette approche directe de la sexualité
féminine » qui a pu influencer d’autres femmes. Dans son analyse de
Cell (You better Grow Up), il met en valeur la récurrence du nombre trois
: « trois mains, trois jeux d’objets, trois flacons de parfums, trois alvéoles
de la céramique », trois enfants…, mais aussi « chiffre de la triangulation, le
nombre de la violation, allusion à la maîtresse [la gouvernante de Louise] qui
s’impose dans le couple des parents et met en mouvement les conflits de
l’enfance liés à la trahison, qui ont nourri l’essentiel de l’art de Louise
Bourgeois ». Puis s’attachant plus particulièrement à la forme cubique des
cellules, il estime que l’artiste « a battu les modernes sur leur propre terrain
formel » et même qu’elle a produit une alternative au cubisme de sa jeunesse et
anéantit le « modernisme patriarcal » de ce mouvement ! Bourgeois n’avait
pourtant qu’un an ou deux lorsqu’Albert Gleizes et Jean Metzinger, puis
Apollinaire publièrent leurs essais respectifs sur le cubisme… Il est vrai que
d’autres auteurs américains ont tressé des liens avec le minimalisme que
l’artiste aurait dépassé ou subverti. Dans une optique plus philosophique,
Rosalind Krauss a établi des corrélations entre l’ensemble de l’œuvre et les
Machines célibataires de Duchamp . On sait que Louise Bourgeois, par
l’intermédiaire de son mari, avait fréquenté Pierre Matisse, Alberto Giacometti,
Jean Metzinger, André Breton et Marcel Duchamp alors qu’ils étaient réfugiés à
New York pendant la seconde guerre mondiale. Mais ce qu’elle a écrit sur
l’autorité des « Anciens » semble plus sarcastique qu’admiratif. Nourrissant des
sentiments ambigus (amicaux et critiques) à l’égard de Duchamp, elle ne semblait
guère apprécier son rapport aux femmes . Même si les références sexuelles sont
sous-jacentes dans les deux œuvres, les objets présentés ne sont pas du tout
investis des mêmes enjeux symboliques. Le rapport à la pratique et au « faire »
est radicalement différent : il signe des ready-made et des contrepèteries tout
en rédigeant des notes et des notices de montage pour
Étant donnés :1° la chute de gaz, 2° le gaz d’éclairage ; beaucoup plus
physique, elle coupe, relie, assemble et sculpte des œuvres monumentales.
Louise
Bourgeois ne fait pas de concessions à l’histoire de l’art, elle ne s’inscrit
pas dans une démarche visant à « illustrer » le propos des commissaires
américains ou français, ou à rassurer le public. Elle ne prend pas du tout
position par rapport aux avant-gardes consacrées (Duchamp, Malevitch,
Schwitters…). De telles contorsions lui sont tout simplement impossibles car
elle n’a cessé de bâtir son œuvre pour elle-même , sans se soucier du « qu’en
dira-t-on ». Ainsi Cell (You better Grow Up) obéit à une logique interne
que le contexte muséal ne saurait « dérouter ». Les cellules sont des
environnements autonomes dotés d’une grande force visuelle et émotionnelle. Ce
ne sont pas des displays qui évolueraient et se transformeraient en
fonction de l’espace d’exposition :
« Quand j’ai commencé à faire les
Cellules, je voulais créer ma propre architecture et ne pas dépendre de
l’espace du musée pour adapter son échelle à celui-ci. Je souhaitais qu’elle
constitue un espace réel où l’on pourrait entrer et dans lequel on pourrait
marcher. Je n’aimais pas que l’art dépende des beaux espaces où il est
simplement posé. Je ne voulais pas de ce monde fermé. Lorsque j’ai montré les
Cellules pour la première fois, elles fonctionnaient comme un labyrinthe
d’une cellule à l’autre. Je décide aussi de l’échelle des œuvres qui sont
présentées au-dehors . »
Malgré cette volonté clairement exprimée de transformer
l’œuvre en labyrinthe, il est rare que l’on puisse pénétrer à l’intérieur des
environnements (à cause des contraintes muséales). Pourtant l’interaction ne
devient physique que si l’on peut entrer dans les Cellules. On fait corps
avec l’œuvre quand on est amené à gravir un escalier, puis s’asseoir sur une
chaise sous un jeu de miroirs, expérience inoubliable rendue possible par la
Tate Modern en 2000, lorsque la gigantesque salle des turbines abritait
I Do, I Undo, I Redo. En matière d’environnement, Bourgeois est une
pionnière : dès 1950 l’artiste prend possession de l’espace d’exposition de la
galerie Peridot de New York. Elle refuse tout socle et ancre ses
Figures dans le sol :
« L’espace du spectateur devient l’espace du
créateur. On entre dans l’espace et on manipule des objets dans cet espace, ce
qui est le privilège du créateur […] C’est en réalité l’origine des sculptures
environnementales, ou plus tard des happenings […] J’ai pris possession
de la galerie, de l’espace que l’on m’a donné et je l’ai utilisé. Au lieu de
simplement en permettre la présentation, l’espace est devenu partie intégrante
de l’œuvre . »
La dimension psychosociale des termes « environnement » et «
cellule » ne peut être gommée puisque Louise Bourgeois affirme que « la relation d’une
personne à son environnement est […] une préoccupation constante » de son
travail. Cette relation, précise-t-elle, peut être désinvolte ou intime, simple
ou complexe, subtile ou brutale, douloureuse ou agréable, réelle ou imaginaire.
Ce tiraillement contradictoire fournit une importante clé de lecture «
existentialiste » de son œuvre tiraillée entre deux pôles. Un autre point majeur
de dissension me semble résider dans l’ironie amusée avec laquelle Marcel
Duchamp acceptait les différentes interprétations de son œuvre au moment où
celle-ci devenait un modèle pour les artistes du pop art américain. Ne jouissant
pas de cette aura, Bourgeois a développé un étrange mélange d’adhésion et de
refus : elle est sans cesse contre et avec les figures tutélaires de
l’art moderne, mais aussi contre et avec les artistes féministes qui
revendiquent son influence. La méfiance vis-à-vis des interprétations de son
œuvre explique sans doute sa réaction face aux rapprochements de Mâkhi Xenakis.
Le jour où celle-ci voulut lui montrer les photographies d’objets (cloches,
vases, bocaux) qu’elle avait prises dans les vitrines des salles de science du
lycée Fénelon, l’artiste se troubla :
« Elle me fit comprendre que je ne devais
plus insister, qu’elle ne voulait pas voir les photographies de ces objets pour
l’instant. Ce n’est qu’un an et demi plus tard qu’elle me demanda de les lui
montrer. […] Souvent devant certaines associations que j’avais faites de ces
objets avec son travail, elle souriait. […] Finalement au bout de plusieurs
jours, elle me dit qu’elle préférait ne pas mettre ces photos dans notre livre.
« C’est votre interprétation, votre histoire et non pas la mienne », et elle ne
voulut plus en entendre parler . »
LES DIFFÉRENTS STATUTS DES ÉCRITS D'ARTISTES
À la fin des années 1990, Daniel Lelong confia à Marie-Laure Bernadac et
Hans-Ulrich Obrist la mission de choisir, réunir et présenter les écrits de
Louise Bourgeois. Le recueil de quelques 400 pages regroupe, par ordre
chronologique, des écrits fort différents : « textes poétiques accompagnant des
gravures, articles sur l’art et les artistes pour des revues, lettres aux
éditeurs, commentaires d’œuvres dans des catalogues, interviews (souvent relus
avant publication), déclarations officielles à l’occasion de colloques ou de
remises de prix, extraits des principaux films ». L’une des difficultés était
liée au fait que l’artiste n’avait jamais cessé de dessiner et d’écrire : « Des
dizaines et des dizaines de journaux intimes, sous forme de carnets, de cahiers
ou de feuilles éparses, puis d’agendas remplissent ses placards, soigneusement
conservés, datés, archivés ». Intimement liés, l’écriture et le dessin n’étaient
pas seulement des outils nécessaires pour saisir les idées au vol dans le flux
continuel de la pensée, opération que Louise Bourgeois appelait joliment capter
des « idées-plumes ». Ce n’était pas seulement un moyen de fixer des souvenirs
dans le flot d’événements ou de non-événements quotidiens, en s’emparant de «
tout support qui lui tombe entre les mains ». En collectant, datant et archivant
ses multiples écrits, Louise Bourgeois n’assumait-elle pas le rôle de
conservateur de toute sa création ? Deux ans plus tard, lors d’un
colloque, Marie-Laure Bernadac a classé les écrits de l’artiste dans quatre
catégories distinctes : le journal d’enfance, la correspondance, les journaux
intimes, les textes poétiques publiés avec les portfolios de gravures . Se
faisant, elle laissait de côté les textes de catalogue. Pourquoi ? En fait, la
question qui se pose est la suivante : les écrits d’artistes ont-ils le même
statut ou la même importance ? Ou pour être plus précise, le poème de Louise
Bourgeois en regard de ses gravures a-t-il le même statut que son commentaire
des Cells dans un catalogue d’exposition ? On sera tenté de valoriser le
poème au détriment du commentaire si l’on pense que les écrits sont autonomes,
qu’il existe une hiérarchie des genres et que les catégories sont étanches. Mais
la réalité est plus complexe : l’expérience créative est une expérience
cannibale qui se nourrit de tous types de créations (littéraires, plastiques,
filmiques, musicales…) indépendamment de leur lieu de production, de leur niveau
de langage ou de recherche . François Morellet avait une façon humoristique de
caractériser ce flot de textes et de sources d’inspirations disparates : «
Comment taire mes commentaires ? ». Avant lui, Francis Picabia était passé
maître dans le brouillage des genres lorsqu’il composait poèmes, lettres d’amour
et articles sur l’art à partir de détournement des aphorismes de Nietzsche !
Fréquemment les écrits d’artistes sont des palimpsestes, qui ressassent une
obsession amoureuse ou colmatent une blessure narcissique. Hésitant entre
simplicité et complexité, réel et imaginaire, douleur et plaisir, Bourgeois nous
confronte à nos propres contradictions. Mais les écrits « pédagogiques » de la
créatrice des Cellules ainsi que le livre
L’Aveugle guidant l’aveugle de Mâkhi Xenakis introduisent une autre
dimension : le dévoilement d’une praxis ouverte mais contrôlée, qui passe par
l’auto-analyse, la conscientisation des actes et la mise à distance des
associations d’idées et autres « projections » des regardeurs. Louise Bourgeois
en a donné la preuve pendant plus de soixante-dix ans : son incroyable faculté
de renouvellement et la vivacité de l’œuvre résultent de cette attitude
discursive.
lundi 21 décembre 2020
De la carte à dada !
Publié par les éditions du Sandre, cet ouvrage présente près de 500 cartes postales qui témoignent de la circulation du photomontage en Europe, aux USA, en Russie et au Japon, de sa pénétration dans la culture populaire. Outils de propagande ou expressions fantaisistes, ces cartes puisent leurs formes dans la mythologie, les illustrations, la caricature, tout autant que dans la photographie et le cinéma des origines.
L’auteur interroge leur place dans l’histoire de l’art : au vu de ce foisonnement, comment se peut-il que les dadaïstes aient revendiqué l’invention du photomontage ? que Walter Benjamin n’évoque guère ces images miniatures tandis que les surréalistes se passionnaient pour les cartes fantaisie ? que Paul Éluard les considérait comme la « petite monnaie de l’art » pour distraire les exploités ?
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