"Gina Pane", Centre Georges Pompidou, 16 février- 16 mai 2000. Publié dans Art press n° 312, mai 2005.
A la galerie du Musée, jusqu’en mai, « Terre-artiste-ciel » présente un ensemble d’œuvres que Gina Pane a créées entres 1965 et 1988, en recourant essentiellement à la photographie et au dessin, à la vidéo et au cinéma 16 mm. L’exposition présente également des objets issus des « actions » douloureuses qu’elle infligea à son propre corps pendant les années 1970 : l’échelle coupante d’ Escalade non anesthésiée, la pièce de métal qui lui servit à sa mise en condition par le feu dans la première phase de son Autoportrait(s), et aussi inévitablement, la lame de rasoir et l’étoffe blanche de la phase suivante.
Dans l’œuvre volontiers mystique de Gina Pane, des éléments tels que le feu et le lait ont une valeur purificatrice. Les blessures sanguinolentes (le plus souvent superficielles) qu’elle se fait en entaillant ses bras, ou en y plantant des épines de roses (Azione sentimentale) ne doivent pas être vues comme des actes de désespoir dans une époque sans futur. Il s’agit très clairement d’actes de révolte qui visent à la « mise au jour d’un nouveau langage artistique, celui de la FEMME ». Entre martyrologie des saintes et vie des gens ordinaires, l’œuvre de Gina Pane se déploie sans voiler son caractère religieux : « Aujourd’hui, je revendique le religieux et je tiens que ce mot est étymologiquement juste par rapport à mon travail (…) ». Cette empreinte du sacré, que l’on trouve également à l’origine du travail de Michel Journiac, est étonnamment construite pour ne pas dire « dialectisée » dans l’œuvre de Gina Pane. Ses actions ne doivent rien au hasard, ni à quelque exhibitionnisme théâtral. Elles se composent de phases méticuleusement agencées, selon un rituel précis, et expriment fortement son rejet des servitudes sociales et matérielles (« les servomécanismes ») qui pèsent sur notre corps.
Dans les années 1980, les Partitions (pour un bateau et la Partition pour quatre jouets) reprennent ce principe de division sur un mode plus métaphorique. Ces installations réunissent par exemple des verres brisés et des jouets de plastique coloré, associés à des photographies de cicatrices de forme triangulaire (évoquant un triangle pubien). Le rapprochement entre ces éléments ludiques et tragiques est fait par le spectateur qui doit s’entraîner, au moment même, à une lecture active et sensible des œuvres : Gina Pane valorisait l’expérience du présent. C’est aussi pourquoi elle élaborait des story-boards très précis de ses actions, mais attachait peu d’importance à leurs traces vidéographiques.
L’exposition permet également de découvrir le court-métrage Solitrac tourné en noir et blanc en 1968, et qui donne un nouvel éclairage sur les notions de pulsion, d’aliénation et de libération qui reviennent fréquemment dans les écrits de l’artiste. Anne Marchand y joue le rôle d’une jeune femme qui a le « trac » dans son appartement lorsqu’elle réalise sa solitude : elle ouvre et ferme obsessionnellement les portes, met ses chaussures au réfrigérateur, observe ses pieds nus, tandis que la caméra passe par la fenêtre au-dessus de sa tête et filme une plongée vertigineuse dans le vide, associée à un long cri de femme.
Enfin, on signalera le Souvenir enroulé d’un matin bleu, sorte de lien entre les œuvres réalisées entre 1968 et 1970 qui se rapprochent du Land Art (Terre protégée, Deuxième projet du silence…) et les obsessions quasi liturgiques de l’artiste à la fin de sa vie (lorsqu’elle dessinait ses Manteaux aux stigmates pour pauvre et riche ou réalisait les châsses de La prière des pauvres et des saints). Constituée d’aluminium, de feutre bleu clair et de bois, accrochée à la cloison, cette sculpture discrète ressemble à une poignée ou une main courante à la fois préhensible et tactile, une sorte de point d’union poétique entre le ciel et la terre.
Après l’exposition de l’Ecole des beaux-arts du Mans, où l’artiste enseigna de 1975 à 1990, après la publication de ses écrits (Lettre à un(e) inconnu(e) aux éditions de l’ENSBA), cette rétrospective n’est qu’une étape vers la connaissance et la reconnaissance de cette œuvre importante en France. On s’interrogera simplement sur l’absence de catalogue d’exposition. Symptôme d’un désintérêt de la critique ou plutôt d’un trouble persistant, quinze années après le décès de l’artiste ?
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vendredi 20 février 2009
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