"Dennis Oppenheim", Musée des beaux-arts d’Arras, 29 septembre-16 décembre 2001. Publié dans Art press n°274, décembre 2001.
Une rétrospective de l’œuvre de Dennis Oppenheim durant tout l’automne ! Grâce aux efforts conjugués de Luc Brévard et Céline Lange, le musée des beaux-arts d’ Arras nous réserve cette étonnante surprise. Né en 1938 aux Etats-Unis, Oppenheim présente une sélection d’œuvres réalisées entre 1967 et 2001. Certaines d’entre elles font partie des jalons historiques que l’on cite dans toutes les anthologies sérieuses de l’earth art et du body art. Oppenheim n’a plus rien à prouver. Pourtant montrer ses œuvres dans l’ ancienne Abbaye Saint-Vaast semble relever du défi : comment instaurer un dialogue entre l’art contemporain et un monument du 18° siècle, profondément empreint d’histoire religieuse ?
Non loin des galeries de sculptures médiévales, à côté du Grand Cloître, Dennis Oppenheim investit deux salles. Dans le premier espace sont regroupées des photographies, des vidéos et des installations des années 60-70. Le rapprochement des photos Salt Flat, Directed Seeding et Reading Position for Second Degree Burn permet de repérer quelques constantes : le recours aux matériaux pauvres, organiques et donc altérables (la terre, le sel, la glace, la cire et la peau), la volonté de laisser une empreinte à la fois violente et éphémère sur le support (brûlure du soleil sur l’épiderme, sillons creusés dans le sol par des machines…), les jeux de déplacements (d’un espace à l’autre, d’un champ de création à un autre, d’un concept à l’autre), l’ironie et l’ambiguïté sémantique des titres. Ainsi, lorsqu’il reporte les dimensions réelles de la salle 3 du Stedelijk Museum sur un terrain gravillonneux du New Jersey (Gallery Transplant), Oppenheim interroge l’intégration de l’art dans un système (géographique, économique et culturel). Il remet en question le musée comme instance de légitimation de l’art. Il déplace le système et le met en abyme. De même, l’interrogation sur le statut et les motivations profondes de l’artiste, revient de façon récurrente. En 1974, après une performance, Oppenheim décide de créer une marionnette à fils pour le remplacer. Il duplique cet étrange objet transitionnel, le met en scène et en fait une machine sonore répétitive et inquiétante (Theme for a major hit). Dans Aging, la manipulation et la pression sont traduits par de petits personnages de cire qui ploient puis fondent sous la chaleur d’une rampe d’éclairage.
Lié aux notions d’introspection et de plongée au fond de soi, l’autoportrait ressurgit dans les toutes dernières sculptures blanches en résine translucide que l’exposition permet de découvrir. A même le sol, dans la seconde salle qui lui est consacrée, Oppenheim installe un homme foudroyé (Man with lightening bolt, 2001), un gigantesque revolver pointé sur un visage (Gun with hand, 2001) et des bateaux dont la coque épouse la forme d’une tête (Boat faces, 2001). Volontairement dramatiques et agressives, ces réalisations monumentales surprennent par leur aspect « brut » (non patiné, non teinté), leur jeu avec la lumière et la transparence et leur fort impact visuel.
Mais l’intervention la plus déstabilisante et provocatrice se situe dans l’espace du Cloître. Là, deux machines-objets de la fin des années 80 et surtout une sculpture en résine de 2001 (Falling angels) troublent profondément la sérénité et l’harmonie classique du site. A quelques pas des Anges rieurs de Saudemont (12°siècle), Oppenheim installe ses propres anges de résine, dont les épaules sont dotées d’une belle paire de scies. Une tête et des ailes gisent déjà sur le sol. Un ange s’apprête à donner le baiser de la mort à un autre. On pense aux églises renversées, posées en équilibre sur leur clocher de la série Device to Root Out Evil, en 1997. Rien de ludique dans de telles installations. Tout au contraire, lorsqu’il expose des masques d’animaux qui gonflent leur propre corps pour se redonner la vie (Above the wall of electrocution), Oppenheim entend se situer dans une sorte de flottement entre le sombre et le clair, entre la vie et la mort. Ses œuvres échappent aux étiquettes, elles relèvent à la fois des registres « conceptuel » et « émotionnel ». Elles oscillent entre la violence contenue de la répétition et le dépouillement absurde d’une pièce de Beckett, sans jamais laisser indifférent.
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vendredi 20 février 2009
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